États-Unis : la fragilité du croquemitaine (édito 29/04/03)

mardi 31 mars 2009

En ces temps de versatilité et d'immédiateté médiatiques, les images artificielles de « Bagdad en liesse à l'arrivée des G.I. » et les menaces de représailles américaines contre la France ont suffi pour affoler responsables politiques et économiques.

Et pourtant, économiquement, philosophiquement et socialement, le croquemitaine américain est bien fragile.

Les Etats-Unis disposent certes de la force militaire brutale, mais ils se caractérisent aussi par une économie sous perfusion, une société violente et carcérale, une situation sanitaire et éducative médiocre

1. Une économie sous perfusion

Le symbole en vaut d'autres. Le 23 avril, les autorités américaines menacent la France de représailles ; le 24 avril, la compagnie aérienne américaine à bas coût, Jetblue, commande 64 Airbus A320 pour une raison simple : malgré les aides massives du Pentagone à Boeing, l'avion franco-européen est plus performant que son concurrent américain.

L'exemple illustre à merveille les faiblesses de l'industrie des Etats-Unis et leur incapacité à produire des biens manufacturés compétitifs. Trois chiffres suffisent à rendre compte de cette réalité : le montant des exportations américaines (693 milliards de dollars) ne couvre que la moitié des importations qui s'élèvent à 1 160 milliards de dollars. Un écart qui a généré, en 2002, un déficit commercial de 484 milliards de dollars : un chiffre colossal, équivalent au prix de 1 500 Boeing, représentant plus de 5 % de la richesse publique et privée produite aux Etats-Unis, plus de 10% des biens manufacturés et une fois et demi le budget militaire américain.

Ce pharamineux déficit qui s'accumule d'année en année (plus de 400 milliards par an depuis 2000, plus de 200 milliards par an depuis 1997, plus de 100 milliards par an depuis 1984) est le tribut que le monde paie à l'Amérique, lui assurant son niveau de vie privé et son niveau de vie public, mais révélant aussi une fantastique fragilité.

2. Une société criminogène et carcérale

Les Etats-Unis qui se donnent volontiers en modèle au monde comme une société multiculturelle et multiraciale harmonieuse sont en fait marqués par la violence.

Violence privée d'une société criminogène comptant, en 2001, 15 980 homicides volontaires, 900 941 viols, 907 207 coups et blessures, chiffres extrêmement élevés à l'échelle du monde - même s'ils sont en régression depuis une dizaine d'années.

Violence publique d'une société carcérale qui emprisonnait 1 926 000 détenus au 31 décembre 2001, soit 686 prisonniers pour 100 000 habitants, c'est-à-dire plus qu'en Russie, plus qu'en Chine, plus qu'en Afrique du Sud voire plus qu'en Irak ! Il est vrai que cette explosion du nombre des détenus a permis de faire baisser la délinquance, mais au prix de l'incarcération de plus de 1 % de la population masculine et de plus de 3 % de la population masculine noire, ce qui, à tout le moins, n'est pas le signe d'une société harmonieuse.


3. Une société sans grande santé

Les Etats-Unis sont aussi un pays où les grands indices de santé sont médiocres au sein des pays développés. L'OMS classe les Etats-Unis 15ème sur 25 pays développés.

Et l'un des indices les plus significatifs du développement sanitaire et culturel, le taux de la mortalité infantile, est particulièrement défavorable aux Etats-Unis, s'établissant à 6,76 0/00 en 2001 alors que le Japon et les pays de l'union Européenne se situent entre 3,8 0/00 et 5 0/00. Même le taux de mortalité infantile des seuls Américains blancs non hispaniques dépasse les 6 0/00.

Enfin, les Etats-Unis rencontrent d'importantes difficultés en matière d'éducation : en bas de l'échelle, le degré d'alphabétisation des couches défavorisées notamment noires et hispaniques est faible pendant qu'en haut de l'échelle, les Etats-Unis doivent opérer sur le monde un important prélèvement de chercheurs et d'ingénieurs pour faire tourner leurs laboratoires et leurs entreprises de haute technologie.

Autre signe que la grande santé n'est pas présente aux Etats-Unis : 60 millions d'habitants y sont obèses montrant ainsi les signes d'une société mentalement domestiquée (par la télévision et les hamburgers) et physiquement vulnérable aux maladies.

4. L'Amérique réelle est loin du mirage libéral

On le voit, dans ses données fondamentales, l'Amérique réelle est loin du mirage libéral et multiculturel que ses admirateurs en donnent en France :
- elle a une économie assistée (par le monde entier) ;
- elle a une société protégée par une politique hyper répressive ;
- elle offre des standards sanitaires et culturels médiocres.

En revanche, l'Amérique réussit fort bien dans les domaines de la puissance :
- 227 milliards de dollars (en 1998) pour la recherche permettant d'employer près de 1 million de personnes, loin devant tous les autres pays du monde.
- 355 milliards de dollars en 2003 pour la défense soit 2 fois et demi plus que l'Union Européenne
- dans un autre domaine, essentiel à la fois comme signe de vitalité et pour l'avenir, il faut aussi citer la bonne tenue des taux de fécondité américain remontant de 1,8 enfant par femme en 1981 à 2,1 en 2001.

Certes ce taux s'explique en partie par l'immigration - les Hispaniques vivant aux Etats-Unis ayant un taux de fécondité de 2,9, supérieur même à celui du Mexique (2,8). Toutefois le taux de fécondité des Américaines blanches non hispaniques s'élève à 1,8 - ce qui est supérieur à tous les taux enregistrés en Union Européenne.

Bref, l'Amérique et ses partisans européens vantent ses valeurs libérales : mais ce n'est pas ce qui fonde son succès.
Ce qui fonde son succès, c'est sa politique de puissance.
Et la faiblesse morale de ses compétiteurs.


Jean-Yves Le Gallou
©POLEMIA
29/04/2003


P.S. : Cette étude mentionne des statistiques comportant des précisions sur les origines ethniques ou linguistiques. Cela correspond à la réalité des informations sociologiques publiées sur les Etats-Unis qui n'ont pas dans ce domaine les mêmes tabous que la France, pays où la recherche statistique n'est pas libre.
 

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